Quand une approche “pratique” de l’adressage d’un campus impose un environnement toponymique toujours plus masculin (94%). Le cas de l’Université Grenoble Alpes à Saint-Martin-d’Hères

Le Campus historique et principal de l’Université Grenoble Alpes situé sur la commune de Saint-Martin-d’Hères connaît quelques changements d’adressage liés à une restructuration de son secteur central. Changements qui se traduisent par l’adjonction de trois nouveaux odonymes : la Place du Torrent, l’Allée des Amphis et l’Allée Ampère. Soit un microtoponyme rappelant l’hydrographie (Torrent), une appellation fonctionnelle et pratique relative aux équipements du campus (Amphis), et un rappel commémoratif (Ampère) à un nom préexistant pour un bâtiment universitaire en lien avec la fameuse Houille blanche. Par ailleurs, les noms de stations de tramway et de bus sont modifiés pour mettre la référence à l’Université au singulier et parfois changer l’ordre des termes.

Changements modestes et à bas bruit, éloignés des débats brûlants sur l’inclusivité qui touchent partout la toponymie urbaine et des campus. Or, ces changements laissent les références masculines en position totalement hégémonique dans la toponymie du campus et renforcent même la situation avec l’introduction de l’Allée Ampère.

En effet, sur le campus, les noms de voies (odonymes) hérités ou contemporains sont principalement génériques et fonctionnels : (Pl. et Av. Centrale ; R. des Universités ; R. de la Papèterie ; R. de la Piscine ; R. de la Passerelle ; R. des Résidences ; Al. des Sports ; R. de la Physique ; R. des Mathématiques ; R. de la Chimie ; R. de la Houille blanche ; R. des Taillées ; Al. des Marronniers …), et ils sont secondairement, mais de manière importante, personnalisés et tous masculins (Av. du Doyen Louis Weil ; Al. Berlioz ;  Al. Condillac ; Al. Pierre Mendes-France ; R. Molière ; R. d’Alembert ; R. Joseph Fourier ; Al. Ampère).

Soit pour les odonymes du campus : 8 sur 22 dédiés à des personnalités masculines pour 0 féminines.

Il faut ajouter les noms de bâtiments et équipements dont une partie importante est également dédiée à des personnes, et là encore le déséquilibre de genre est édifiant :

• Entrées campus : Sadoul ; Weil 
• Equipements UGA  : Amphi Louis Weil ; Bibliothèque Joseph Fourier
• Résidences (CROUS) : Berlioz ; Fauré ; Nocturnes de Fauré ; Condillac ; Marie Reynoard ; Stefan Zweig
• Restaurants (CROUS) : Diderot ; Condillac
• Stations (TAG) : Université-Hector Berlioz ; Gabriel Fauré-MUSE ; Université-Condillac
• Domaines (quartiers) UGA : Stendhal ; Pierre Mendes-France
• Bâtiments universitaires (UGA) : Berges ; Maison du Doctorat Jean Kuntzmann ; Galilée ; Simone Weil ; Ampère

Soit 22 noms d’équipements et bâtiments, dont 20 masculins et 2 féminins (aucun pour les grands équipements, entrées, et stations).

En tout 30 toponymes dédiés à des personnes dont 2 féminins, soit 6 % de toponymes féminins. Extrême déséquilibre, qui plus est doublé d’un déséquilibre qualitatif avec aucun grand équipement ; et les dernières initiatives toponymiques renforcent encore le phénomène.

Rappelons que les femmes représentent plus de la moitié (55%) des effectifs de l’UGA et donc des usagèr.es du campus. La page Égalité Femme-Homme du site de l’UGA affirme en juin 2023: “L’Université Grenoble Alpes a un rôle important à jouer dans le domaine de l’égalité femmes / hommes, en créant un environnement favorable à la reconnaissance et à la promotion des femmes, et à la mixité des filières”.

La décision pour l’odonymie relève clairement en droit français de la municipalité de Saint-Martin-d’Hères sur lequel se situe le Campus, mais on peut imaginer que l’UGA, concernée au premier chef, a été consultée ou a pris l’initiative d’intervenir pour faire valoir sa vision de l’évolution souhaitable du toponomascape universitaire, si elle en a une. C’est d’ailleurs la Direction de l’Aménagement de l’UGA qui communique sur le sujet et annonce l’ensemble des nouvelles dénominations sur le campus liées au changement d’adressage et de dénomination des stations de tramway.

Première page de la lettre de l’UGA, Direction de l’Aménagement, intitulée Renommage de l’Avenue Centrale, 25 mai 2023

L’institution universitaire a par ailleurs la main sur les bâtiments universitaires. On note pour ces toponymes universitaires une unique et cosmétique intervention récente pour la nomination du bâtiment Simone Veil dans le domaine Pierre Mendes-France. L’autre adjonction féminine sur le campus, la première, a été réalisée pour une résidence du Crous appelée Marie Reynoard en 2013, du nom de la professeure résistante grenobloise assassinée. La tranche suivante de nouvelle résidence inaugurée en 2018 a pris le nom d’un homme illustre, Stefan Zweig. Ultérieurement, un restaurant universitaire géré par le Crous a été totalement rénové et rebaptisé en 2020 du nom préexistant de (Denis) Diderot après une consultation qui laissait apparaitre également des noms féminins.

Au même moment l’EPFL à Lausanne, qui pourtant constitue certainement un modèle pour l’Université de Grenoble, fait des choix engagés et diamétralement opposés en donnant des noms de figures scientifiques féminines illustres à sept lieux sur son campus.

Anne-Laure Amilhat Szary ; Cristina Del Biaggio ; Frédéric Giraut ; Myriam Houssay-Holzschuch